- RADIOBIOLOGIE
- RADIOBIOLOGIELa radiobiologie a pour but d’élucider les effets sur la matière vivante des radiations de longueur d’onde inférieure à celles de la lumière visible. À la suite de la découverte des rayons X (Röntgen, 1895) et du radium (Marie Curie, 1898), on constata que les radiations provoquent trois types d’effets biologiques: la mort cellulaire (la première radiodermite fut signalée quatre mois après la découverte de Röntgen), un effet cancérigène (le premier radiocancer fut identifié en 1902) et un effet mutagène (l’irradiation provoque l’apparition de mutations, comme le démontra Muller en 1927).Au cours des premier tiers du XXe siècle, on définit les lois qui relient la grandeur de l’effet obtenu à la dose de rayonnement absorbé; cette radiosensibilité est une propriété des cellules qui constituent chaque tissu; en règle générale, plus les cellules ont une croissance rapide, plus elles sont radiosensibles; dans toute cellule, la partie la plus radiosensible est celle qui constitue le patrimoine héréditaire de la cellule.On sait aujourd’hui que c’est l’acide désoxyribonucléique (ADN) qui est le constituant fondamental du patrimoine héréditaire et qu’il est la cible biologique préférentiellement affectée par les irradiations. Les progrès en radiologie ont permis de préciser la nature des radiolésions et de mieux connaître les différents facteurs qui gouvernent la radiosensibilité cellulaire.1. Nature des lésionsRadiolésions de l’ADNLes lésions les mieux caractérisées sont la cassure d’un brin, la section de la double hélice, la distorsion et le pontage (fig. 1).Cassure d’un brinLes liaisons phosphodiester d’un brin de la molécule d’ADN peuvent être rompues par les radiations. La double hélice conserve sa structure d’origine, les segments des brins intacts servant d’attelle au brin rompu en un point. Si ces ruptures ne sont pas réparées, elles peuvent aboutir à la mort de la cellule.Section de la double héliceDeux liaisons phosphodiester homologues peuvent être rompues simultanément, cette rupture entraînant une cassure de la double hélice. Il s’agit là d’une lésion grave produite principalement par les radiations ionisantes et des agents radiomimétiques tels que le gaz moutarde et l’ypérite.DistorsionLa structure de la double hélice est modifiée localement. Par exemple, sous l’influence des rayons ultraviolets, deux pyrimidines adjacentes peuvent être réunies par de nouvelles liaisons chimiques pour former un dimère. Les dimères de pyrimidines modifient l’orientation des bases, créant ainsi une boursouflure locale de la double hélice. Sous l’action des radiations ionisantes, il se forme des dérivés des bases de l’ADN, peroxydes ou hydrates.PontageLes acides nucléiques sont associés à des protéines in vivo . L’irradiation par les ultraviolets peut produire des liaisons stables entre les bases de l’ADN et certains acides aminés. De même, des pontages, différents de la dimérisation, s’établissent entre la cytosine et la thymine. De telles liaisons empêchent les deux brins d’ADN de se séparer au moment de la réplication.Autres réactionsLes altérations radiochimiques et photochimiques des purines ont un rendement plus faible que celui des pyrimidines; toutefois leur rôle n’est pas négligeable. De même, le bilan complet des radiolésions comprend également des lésions du désoxyribose, la peroxydation des bases, des réactions intermoléculaires diverses.Radiolésions des autres constituants cellulairesProtéinesLes protéines constituent la majeure partie des composants d’une cellule. Certaines, appelées enzymes, catalysent l’ensemble des réactions cellulaires, d’autres entrent dans la structure des différents composants cellulaires (membranes...). Le critère biochimique de détection des radiolésions enzymatiques est la perte de leur activité catalytique. Les doses nécessaires pour supprimer les activités enzymatiques sont de l’ordre de 10 grays (Gy); elles sont en moyenne dix fois plus élevées que celles qui suffisent à inhiber l’aptitude de cellules de Mammifères à se diviser. De plus, la plupart des enzymes sont produites d’une matière continue; elles existent en de multiples exemplaires, de sorte que l’inactivation d’une fraction d’entre elles peut n’entraîner aucune conséquence grave pour la cellule.Acides ribonucléiquesLes acides ribonucléiques (ARN messagers, ribosomaux et de transfert) ont une structure comparable à celle d’une simple chaîne d’ADN, mais l’uracile et le ribose remplacent la thymine et le désoxyribose (cf. acides NUCLÉIQUES). Comme pour les protéines, la biosynthèse de ces ARN est un processus continu et chacune de ces espèces moléculaires existe en plusieurs copies. Là encore, il faut des doses de radiations élevées pour retarder ou inhiber complètement la synthèse des acides ribonucléiques.MembranesLa cellule est constituée par un ensemble de membranes interconnectées: membrane externe, membranes nucléaires et mitochondriales, réticulum endoplasmique, appareil de Golgi, lysosomes. Ces structures membranaires assurent la régulation des échanges de matériel entre l’extérieur et l’intérieur de la cellule. De plus, l’association entre l’ADN et la membrane (externe pour les Procaryotes, nucléaire pour les Eucaryotes) joue un rôle fondamental dans le processus de la réplication de l’ADN. Ainsi une dose faible (0,5 Gy) induit des modifications du comportement et du fonctionnement du système nerveux central chez l’animal adulte, par suite d’une augmentation de la perméabilité aux ions des axones nerveux. De même, pour des doses de radiations relativement faibles, les membranes des cellules épithéliales de l’intestin des Mammifères perdent leur aptitude à régler la perméabilité aux électrolytes. Les lysosomes, ou « sacs suicide », qui contiennent de nombreuses enzymes de catabolisme cellulaire libèrent massivement ces dernières pour de faibles doses de rayons X. Les protéines, les acides nucléiques, les mucopolysaccharides sont alors endommagés par ces enzymes. Enfin, la phosphorylation oxydative, étape de la respiration contrôlée par les mitochondries, est complètement inhibée pour des doses très faibles (0,25 Gy) dans les cellules particulièrement radiosensibles du thymus.En résumé, si l’on peut dire que le site critique atteint par les radiations semble bien être le matériel génétique, d’autres structures cellulaires, et plus particulièrement les membranes, peuvent aussi jouer un rôle non négligeable dans les effets biologiques des radiations.2. Facteurs modificateurs de la radiosensibilitéLa radiosensibilité est modifiée soit par des facteurs cellulaires, soit par des facteurs physiques et chimiques.Facteurs cellulairesContrôle génétique de la radiosensibilité. La réparationUn très important courant de recherches a démontré qu’une fraction des radiolésions est réparable par les cellules. Ces phénomènes de restauration ont été d’abord identifiés chez les micro-organismes, puis retrouvés chez tous les organismes vivants, y compris les Mammifères. La restauration de la fonction biologique atteinte s’accompagne de la réparation de l’acide nucléique.Réparation par excision-resynthèseC’est l’isolement, en 1958, de mutants de la bactérie Escherichia coli extrêmement radiosensibles et incapables d’assurer la reproduction d’un virus irradié qui incita divers chercheurs à penser que cette radiosensibilité de la souche mutante est due à l’absence d’une enzyme présente normalement dans la souche « sauvage ».De nombreux travaux ont permis de connaître le déroulement de ce processus de réparation (fig. 2). Dans un premier temps, une endonuléase coupe l’ADN au niveau des bases adjacentes des dimères de pyrimidines. Le segment d’ADN portant le dimère est alors éliminé par une exonucléase spécifique, enzyme qui attaque les chaînes d’ADN par leur extrémité libre. La brèche ainsi formée est comblée grâce à une synthèse locale d’ADN par une ADN-polymérase à laquelle est associée une activité exonucléasique; cette enzyme prend le brin intact homologue pour matrice. Enfin, la continuité du brin est rétablie par une ligase qui soude les extrémités de la portion resynthétisée au segment contigu non endommagé.On a vérifié que ce processus de réparation existe dans divers types de cellules, y compris les cellules humaines. Ainsi, les cellules de la peau de malades atteints d’une maladie cutanée, Xeroderma pigmentosum , sont, comme certains mutants bactériens, incapables d’effectuer l’excision des dimères de pyrimidines. On a également démontré que la lumière solaire induit, bien qu’avec une efficacité moindre que l’ultraviolet, une proportion non négligeable de dimères de thymine, ce qui entraîne une grande photosensibilité des patients atteints de cette maladie.La réparation par excision nécessite l’intervention de plusieurs enzymes, dont la biosynthèse est contrôlée par différents gènes. Par suite, la perte de fonction de l’un de ces gènes confère une radiosensibilité accrue. Le processus de réparation des ruptures simples de la chaîne d’ADN produites par les radiations ionisantes présente des étapes communes avec les processus d’excision-resynthèse. C’est ainsi que les nucléases dégagent les extrémités rompues libérant ainsi les liaisons chimiques accessibles à la ligase. Celle-ci soude alors les segments interrompus.Réparation par recombinaisonLa réparation par recombinaison est un des aspects d’un mécanisme moléculaire responsable de diverses manifestations biologiques dont le résultat est un changement soit de la liaison entre les gènes, soit de la séquence des bases dans un gène. Des molécules homologues d’ADN porteuses de radiolésions peuvent, par un processus d’échange de matériel génétique, souder des segments non endommagés et restituer une molécule d’ADN normale. Dans le cas où le patrimoine héréditaire existe en plusieurs copies (au moins deux, et c’est le cas général pour les cellules somatiques d’organismes supérieurs), ces mécanismes de recombinaison génétique jouent un rôle fondamental.PhotorestaurationSi des cellules irradiées par l’ultraviolet sont exposées à la lumière, la fraction des cellules survivantes est plus élevée (A. Kelner, 1949). Cette photorestauration est produite par une enzyme qui, si elle est activée par la lumière visible, forme un complexe avec l’ADN et coupe sélectivement les dimères de pyrimidines en monomères. La structure originale de l’ADN est ainsi rétablie in situ . L’enzyme de photorestauration est présente dans l’échelle des organismes depuis les bactéries jusqu’aux Marsupiaux, mais est absente dans les cellules de Mammifères supérieurs. On peut penser qu’au moment de l’apparition de la vie sur terre l’atmosphère était plus perméable à l’ultraviolet solaire qu’elle ne l’est aujourd’hui. La sélection biologique a probablement œuvré en faveur de l’apparition de l’enzyme de photorestauration. Ces conditions primitives ayant disparu, la structure de l’enzyme a pu évoluer pour avoir sur l’ADN une autre action qui nous est actuellement encore inconnue.Les processus de réparation de l’ADN décrits ici se sont probablement développés au cours de l’évolution des espèces pour assurer la stabilité de l’information génétique, condition de survie de l’espèce en tant que telle. Le rendement de la réparation n’est pas de 100 p. 100; d’autre part, la réparation elle-même peut n’être pas fidèle. Si les lésions résiduelles et les erreurs de réparation ne sont pas létales, des mutations apparaissent. On peut donc penser que la fréquence des mutations spontanées ou radio-induites semble en relation avec l’efficacité de la réparation: de fait, la plupart des mutants radiosensibles caractérisés chez les micro-organismes montrent des modifications de leur mutabilité par rapport aux cellules normales.Différences de radiosensibilité au cours du cycle cellulaire chez les cellules de MammifèresPour le radiobiologiste, la « mort » cellulaire est définie par la perte de l’aptitude à se diviser de façon illimitée. Il est d’observation courante en radiothérapie que les cellules en voie de division sont les plus radiosensibles. L’amélioration des techniques de synchronisation du cycle de populations cellulaires contribua à éclaircir ce type d’étude. L’examen de multiples lignées cellulaires in vitro montre que la sensibilité à l’effet létal des radiations dépend étroitement du stade du cycle cellulaire où se trouvent les cellules au moment de l’irradiation. Des différences existent d’une lignée cellulaire à l’autre; cependant, d’une manière générale, les cellules en mitose sont les plus radiosensibles, alors que les cellules qui n’ont pas encore commencé la synthèse d’ADN (stade G1) ou qui sont en fin de synthèse d’ADN (phases S tardive et G2) sont les plus radiorésistantes. La radiosensibilité des cellules de la moelle osseuse irradiées in vivo est en tous points comparable à celle que l’on observe chez des cellules traitées in vitro .Les causes de ces variations de radiosensibilité ne sont pas entièrement élucidées. Il semble cependant que la diminution transitoire de l’aptitude à réparer les radiolésions soit en partie responsable de ces variations. C’est ainsi que certains mutants radiosensibles de micro-organismes eucaryotes défectifs pour la réparation ne montrent pas ces fluctuations périodiques de radiosensibilité.En résumé, les populations cellulaires à division rapide telles que la peau, la moelle osseuse, les gonades sont les plus radiosensibles. En revanche, les tissus qui comportent peu de cellules en division tels que les muscles, les reins, le foie sont les plus radiorésistants. Les cellules immunologiquement compétentes sont extrêmement radiosensibles. Aussi leur stérilisation par les radiations ionisantes entraîne-t-elle une dépression de la capacité de l’organisme de s’immuniser à une stimulation antigénique. Cette observation est mise à profit dans les techniques modernes de greffe.Facteurs physiques et chimiques externesLa réponse cellulaire aux radiations varie aussi selon les conditions physiques et chimiques de l’irradiation. C’est ainsi que l’efficacité d’un rayonnement ionisant augmente avec la densité linéaire d’ionisation produite par ce rayonnement; par exemple, la fréquence des ruptures chromosomiques provoquées par les particules 見 est plus grande que celle due au rayonnement X. De même, le débit de la dose administrée ou bien son fractionnement dans le temps jouent un rôle important. Cet effet est d’ailleurs lié à la vitesse avec laquelle les cellules sont aptes à réparer une fraction des radiolésions.Les mécanismes primaires mis en jeu sont différents selon que les modécules d’eau sont présentes au cours de l’irradiation (effet indirect, rôle prépondérant des radicaux radioformés) ou absentes (effet direct). D’une façon générale, tous les systèmes biologiques sont beaucoup plus sensibles aux rayons X et 塚 lorsque l’irradiation est effectuée en présence d’oxygène plutôt qu’en anoxie. La combinaison de l’oxygène avec les radicaux libres de l’eau forme des radicaux libres très toxiques pour les cellules.Les agents chimiques qui modifient la radiosensibilité sont classés en deux catégories: radioprotecteurs tels que la cystéamine, le gluthation, et radiosensibilisateurs tels que l’iodoacétamide ou les dérivés halogénés des pyrimidines.Il est généralement admis que les radioprotecteurs, qui n’agissent que lorsqu’ils sont présents pendant l’irradiation, mettent en partie à l’abri des sites biologiques critiques en captant les radicaux libres radioformés.La connaissance de tous ces facteurs est à la base de la radiothérapie: fractionnement des doses, utilisation de sources de rayonnement de haute énergie, utilisation de forte pression d’oxygène pour le traitement de tumeurs radiorésistantes par défaut d’oxygénation, etc. [cf. THÉRAPEUTIQUE].La radiobiologie, qui a pour but de connaître le mode d’action des radiations sur la matière vivante, fournit non seulement des résultats applicables au traitement du cancer, à l’acceptation des greffes, à la production de nouvelles espèces, mais elle contribue à comprendre des mécanismes biologiques fondamentaux tels que celui de la recombinaison génétique ou celui de l’apparition des mutations. Elle constitue aussi un outil pour comprendre l’évolution biologique.radiobiologien. f. BIOL Science qui étudie l'action des radiations (X, alpha, beta, gamma, ultraviolettes, etc.) sur les êtres vivants.⇒RADIOBIOLOGIE, subst. fém.BIOL. Étude des effets des rayonnements (notamment des rayonnements ionisants) sur les êtres vivants, des moyens de s'en préserver, des traitements à suivre en cas d'irradiation et de leur emploi pour procéder à des investigations dans le corps humain. C'est Dominici qui condense, dans un article paru en 1909, toutes les propriétés physiologiques des rayons de Becquerel. Ses études histologiques sont si précises que les livres modernes ne font qu'emprunter les images de ses expériences. L'essentiel des lois de la radiobiologie était né (Ce que la Fr. a apporté à la méd., 1946 [1943], p. 164). Les découvertes de Röntgen et des Curie ont ouvert la voie de la radiobiologie: l'irradiation modifie le fonctionnement cellulaire, entraîne des malformations embryonnaires et parfois des mutations héréditaires; elle détermine souvent la mort des éléments atteints, effet qui est utilisé pour détruire les tissus pathologiques (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 612).Prononc.:[
]. Étymol. et Hist. 1943 supra. Comp. de radio-1 et de biologie. Cf. l'angl. radiobiology, de même sens, att. dep. 1919 ds NED Suppl.2
DÉR. 1. Radiobiologique, adj. Relatif à la radiobiologie. Expériences radiobiologiques. Le broyat de mouches sensibles convenablement traité montre que des particules (...) infectieuses (...) y sont contenues (...), tandis que les méthodes radiobiologiques leur confèrent un volume sensible de 40(P. MORAND, Confins vie, 1955, p. 150). — [
]. — 1re attest. 1952 (C.r. de l'Ac. des sc., t. 234, 1er sem., p. 2236); de radiobiologie, suff. -ique; cf. l'angl. radiobiologic, radiobiological, de même sens, att. respectivement dep. 1929 et 1931 ds NED Suppl.2, s.v. radiobiology. 2. Radiobiologiste, subst. masc. Spécialiste en radiobiologie. À notre époque nombreux sont les physiciens, les chimistes, et finalement les radiobiologistes qui s'interrogent sur le futur de leur science (R. LATARJET, infra bbg.). — [
]. — 1re attest. 1971 supra; de radiobiologie, suff. -iste. Cf. l'angl. radiobiologist, de même sens, att. dep. 1946 ds NED Suppl.2, s.v. radiobiology. Bbg. LATARJET (R.). Avant-propos. In: Advances in radiation research. New York, 1973, t. 1, p. XXIII.
radiobiologie [ʀadjobjɔlɔʒi] n. f.ÉTYM. 1962; de 1. radio-, et biologie.❖♦ Sc. Partie de la biologie étudiant l'effet des radiations sur les êtres vivants.➪ tableau Noms de sciences et d'activités à caractère scientifique.❖DÉR. Radiobiologique.
Encyclopédie Universelle. 2012.